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travail, nous devons finir comme Léonidas, Cynégire, Curtius, les Fabius, Arnold de Vinkelried, d’Assas. Nous plaindrions-nous qu’elle vient trop tôt ? Quel orgueil ! Nous n’attendrons pas même, à l’occasion, que la vieillesse nous fasse signe ; nous partirons jeunes, comme Barra et Viala.

Au reste, en conduisant l’homme à la mort, c’est-à-dire à la dépersonnalisation, la Justice ne le détruit pas tout entier. La Justice équilibre et renouvelle les individualités ; elle ne les abolit pas. Elle recueillera les idées de l’homme et ses œuvres ; elle conservera, en les modifiant, jusqu’à son caractère et à sa physionomie ; et c’est l’intéressé lui-même qu’elle chargera de sa propre transmission, c’est à lui qu’elle confiera le soin de son immortalité, en instituant la génération et le testament.

Ainsi l’homme se reproduit dans son corps et dans son âme, dans sa pensée, dans ses affections, dans son action, par un démembrement de son être ; et comme la femme fait avec lui conscience commune, elle fera encore génération commune. La famille, extension du couple conjugal, ne fait que développer l’organe de juridiction ; la cité, formée par le croisement des familles, le reproduit à son tour avec une puissance supérieure. Mariage, famille, cité, sont un seul et même organe ; la destinée sociale est solidaire de la destinée matrimoniale, et chacun de nous, par cette communion universelle, vit autant que le genre humain.

D. — Au fond, l’hypothèse d’une conscience formée à deux découle de la même métaphysique qui a fait supposer déjà une Raison collective et un Être collectif. Mais cette métaphysique a un défaut grave : c’est d’ébranler la foi à tout un ordre d’existences, en rendant de plus en plus problématique la simplicité de l’âme, l’indivisibilité de la pensée, l’identité et l’immutabilité du moi, conséquemment en infirmant leur réalité.

R. — Pourquoi ne dirait-on pas aussi bien que cette métaphysique, par ses séries et par ses antinomies, par la puissance de son analyse et la fécondité de sa synthèse, tend à établir la réalité de choses qui jusque-là étaient demeurées de pures fictions ? C’est le principe de composition qui con-