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l’âme, que tantôt il ravit, sur les ailes du désir, au troisième ciel, tantôt il précipite, par l’impatience de la possession, dans une frénétique impudicité. Voilà en six lignes la physiologie de l’amour.

Espérer le retenir et le fixer à cet apogée où le porte l’idéal est une illusion que dément toute expérience, et que la nature des choses explique. Toute réalisation de l’idéal est nécessairement incomplète, partant fausse ; et cela, parce que le réel ne peut jamais reproduire qu’un rayon fugitif de l’idéal ; parce que l’absolu et le réel sont contradictoires, et que, si celui-ci nous donne la notion de celui-là, tout effort que nous faisons pour saisir l’idéal ou l’absolu dans un objet qui le réalise en entier n’aboutit qu’à l’épuisement de l’esprit, souvent à une déception douloureuse.

Jouir de l’amour dans l’infini de son aspiration, posséder l’idéal, est donc, comme la pénétration de l’absolu par la pensée, chose impossible. D’un autre côté, combattre l’amour, de même que se dérober à la conception de l’absolu, n’est pas moins impossible, puisque nous ne pouvons pas nous empêcher de trouver beau ce qui est beau et de l’aimer ; je dirai même que c’est chose immorale : sur ce point, la religion est d’accord avec la raison, la théologie ascétique avec la philosophie épicurienne. Le christianisme n’a fait que déplacer l’amour en le rapportant à Dieu : il s’est bien gardé de le vouloir détruire.

Mais, si nous ne pouvons ni nous rendre maîtres de l’amour ni nous soustraire à son influence, il est une chose qui dépend de notre libre arbitre et à laquelle la religion et la poésie érotique n’ont pas songé : c’est de balancer l’amour par l’amour, de sorte que nous usions de sa vertu en restant maîtres de notre cœur.

Je sais tout ce qu’il y a de paradoxal dans ce que je vais dire ; mais il faut que je le dise, parce que telle est