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duel dans son existence, savoir se passer de la félicité, aussi bien que s’en maintenir indépendant, s’il la possède. On peut tâcher de s’arranger le moins mal en ce monde, mais sans trop s’en préoccuper. »

« S’accommoder de ce monde tel qu’il est, et pourtant lui être supérieur », telle était la maxime de Hégel. Peu lui importaient le paupérisme et le crime, le mal, en un mot ; il ne s’en inquiétait point. Sa philosophie n’admettait pas qu’il y eût là un problème. Il voyait les choses de trop haut pour apercevoir sous la pourpre des aristocraties les lambeaux dont se voile à peine la maigreur de tant de millions de malheureux. N’est-ce pas ce que l’on a appelé en France la grande morale, facile et coulante, par opposition à la petite morale, scrupuleuse et sévère ; ce que l’Église a condamné sous le nom de quiétisme ; ce que la Révolution a flétri dans le laissez faire, laissez passer, et que l’inertie monacale avait défini : Sinere mundum ire quomodo vadit ?

XII

Moins réservés que le philosophe de Berlin, les disciples de Saint-Simon ayant en 1830, sommé la société de sortir de sa vie instinctive et d’entrer sans plus attendre dans le régime prédéterminé de toute éternité par l’esprit infini, on sait ce qui arriva. La société leur répondit, par la bouche du procureur du roi, qu’elle leur était reconnaissante de lui avoir donné conscience de sa destinée ; que, se sachant désormais, grâce à eux, déterminée par l’absolu, elle jouissait par là même de toute la liberté désirable ; qu’il n’y avait plus qu’à la laisser vivre sa petite vie et aller son bonhomme de chemin, et si quelqu’un voulait forcer le pas, qu’il lui arriverait malheur. Les saint-simoniens se le tinrent pour dit : revenus de leur dispersion, ils ont déposé le casque de la Révolution, le