Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/393

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mouvement philosophique, accusés par l’Église et par Rousseau lui-même de matérialisme et d’immoralité : justice est faite aujourd’hui et de l’état de nature et de la religion naturelle.

L’Héloïse a relevé l’amour et le mariage, j’en tombe d’accord, mais elle en a aussi préparé la dissolution : de la publication de ce roman date pour notre pays l’amollissement des âmes par l’amour, amollissement que devait suivre de près une froide et sombre impudicité.

Les Confessions sont d’un autolâtre parfois amusant, mais digne de pitié.

Quant au style, excellent par fragments, toujours correct, il est fréquemment déshonoré par l’enflure, la déclamation, la roideur, et une affectation de personnalité insupportable. Rousseau a ajouté à la gloire de notre littérature ; mais, comme pour le mariage et l’amour, il en a commencé la décadence.

En somme, et cette observation est décisive contre lui, Rousseau n’a pas le véritable souffle révolutionnaire ; il ne comprend ni le mouvement philosophique ni le mouvement économique ; il ne devine pas, comme Diderot, l’avenir glorieux du travail et l’émancipation du prolétariat, dont il porte si mal la livrée ; il n’a pas, comme Voltaire, cet esprit de Justice et de tolérance qui devait amener, si peu d’années après sa mort, la défaite de l’Église et le triomphe de la Révolution. Il reste fermé au progrès, dont tout parle autour de lui ; il ne comprend, il n’aime seulement pas cette liberté dont il parle sans cesse. Son idéal est la sauvagerie, vers laquelle le retour étant impossible, il ne voit plus, pour le salut du peuple, qu’autorité, gouvernement, discipline légale, despotisme populaire, intolérance d’église, comme un mal nécessaire.

L’influence de Rousseau fut immense cependant : pourquoi ? Il mit le feu aux poudres que depuis deux siècles avaient amassées les lettrés français. C’est quelque chose d’avoir allumé dans les âmes un tel embrasement : en cela consiste la force et la virilité de Rousseau ; pour tout le reste il est femme.

Le successeur immédiat de Rousseau, dans cette série féminine, fut Bernardin de Saint-Pierre. Je n’en dirai