Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/343

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout cela, dans la pensée de l’Église, est innocent : qui le nie ? Mais c’est justement ce que je vous reproche, Monseigneur : vous ne vous connaissez pas ; vous ne savez pas plus, dans votre funeste innocence, ce qu’il y a au fond de votre mysticisme que vous ne connaissez l’amour. Tous ressemblez à des enfants qui se poursuivent avec des bougies allumées dans un magasin à poudre. Et quand arrivent parmi vous ces éruptions furieuses qui, dans un Mingrat, un Léotade, épouvantent le monde, vous êtes les premiers à témoigner de votre affliction et de votre étonnement.

Voulez-vous savoir maintenant quel fruit les fillettes que vous catéchisez tirent de vos leçons ? Lisez ce morceau, que j’extrais de Lélia.

« Écoutez, ma sœur… C’est dans vos bras innocents, c’est sur votre sein virginal que pour la première fois Dieu m’a révélé la puissance de la vie… Ne vous éloignez pas ainsi ; écoutez-moi sans préjugé !

« Eh bien ! nous dormions paisiblement sur l’herbe moite et chaude ; les cèdres exhalaient leur exquise senteur de baume, et le vent du midi passait son aile brûlante sur nos fronts humides. Jusqu’alors, insouciante et rieuse, j’accueillais chaque jour de ma vie comme un bienfait nouveau. Quelquefois des sensations brusques et pénétrantes faisaient bouillonner mon sang ; une ardeur inconnue s’emparait de mon imagination ; la nature m’apparaissait sous des couleurs plus étincelantes ; la jeunesse palpitait plus vivace et plus riante dans mon sein ; et si je me regardais au miroir, je me trouvais dans ces instants-là plus vermeille et plus belle. Alors j’avais envie de m’embrasser dans cette glace qui me reflétait, et qui m’inspirait un amour insensé…

« Ce jour-là, un rêve étrange, délirant, inouï, me révéla le mystère jusque-là impénétrable, et jusque-là tranquillement respecté. Ô ma sœur ! niez l’influence du ciel, niez la sainteté du plaisir ! Vous eussiez dit, si cette extase vous eût été donnée, qu’un ange envoyé vers vous du sein de Dieu se chargeait de