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sentiments divers et dont les effets vont bien au delà de la simple amitié ? Qu’était-ce que l’affection de Fénelon pour le duc de Bourgogne, cet enfant de son cœur et de son génie, qu’il avait créé, formé, la Bible dirait engendré, comme il avait créé son Télémaque ? De l’amour, dans le sens le plus pur et le plus élevé que lui donnaient les Grecs. Fénelon instruisant le duc de Bourgogne, c’est Socrate révélant à ses auditeurs la beauté de Théétète, c’est Épaminondas réprimandant Micythus. Qu’il eût voulu mourir pour ce fruit de ses entrailles, le tendre Fénelon !…

J’irai plus loin : qu’était cette prédilection tant remarquée du Christ pour le plus jeune de ses apôtres (Jeanxii, 23 ; xix, 26, 27 ; xxi, 20) ? Je ne sais quel incrédule a pris occasion de ces passages pour jeter sur les mœurs de Jésus un odieux soupçon ; pour moi, j’y vois, comme dans l’épisode de Nisus et Euryale, une imitation chrétienne de l’amour grec. Et ce n’est pas la moindre preuve à mes yeux que l’auteur du 4e Évangile ne fut pas un Hébreu de Jérusalem, incapable de ces délicatesses, mais un helléniste d’Alexandrie, qui connaissait son public, et ne trouvait rien de mieux pour vanter la sainteté du Christ que d’en faire un amant à la manière de Socrate. Nous calomnions les anciens, et nous ne voyons pas que leurs idées, ramenées à leur juste mesure, ont leur source dans le cœur humain, et qu’elles ont coulé jusque dans notre religion.

La distinction des amours et la différence de leurs caractères était si bien établie chez les Grecs, que nous les voyons habiter ensemble, sans se combattre ni se confondre : chose qui n’a pas lieu, assure-t-on, pour les sodomites. Achille a pour compagne de sa couche, hétaïra, Briséis, la belle captive ; pour ami de cœur, Patrocle, son hétaïros. Aussi, quelle différence dans les regrets