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voiles, leur parlant comme si elles eussent été en vie, les baisant amoureusement, et s’estimant plus heureux de telles faveurs que de la possession des plus belles femmes.

C’est donc par un raffinement de délicatesse en même temps que par une recherche quintessenciée du beau et de l’honnête que les anciens en vinrent à mépriser l’amour conjugal, et avec lui tout rapport physique avec la femme. Pétrarque, l’amant idéaliste de Laure, fit-il toute sa vie autre chose ? Et les femmes de son siècle n’auraient-elles pas eu lieu de se plaindre de lui autant que les femmes de Thrace crurent avoir à se plaindre d’Orphée ?… Là était, en effet, l’écueil où devait périr la moralité grecque. L’union des sexes écartée par la logique de l’idéal, l’amour n’a plus de base ; nous sommes arrivés à la contradiction : la catastrophe ne se fera pas attendre.

XXIV

L’amour n’existe qu’à la condition d’une dualité, d’une polarité, diraient aujourd’hui les philosophes. Cette condition nécessaire, comment la remplir ? En composant le couple amoureux de deux personnes du même sexe, bien entendu sans aucune idée d’union charnelle. La filiation des idées et des termes y conduisait. L’amour, dit Plutarque, c’est la vertu ; et la vertu, en grec comme en latin, porte un nom qui rappelle la masculinité, ἀρετὲ, virtus.

Telle est la série d’idées par laquelle les Grecs, à force de spéculer sur l’amour et de le dégager des indignités de la chair, arrivèrent aux derniers excès. Cela peut paraître prodigieux, mais cela est ; et l’histoire entière en témoigne. Ce qu’ils cherchaient dans l’amour universel, ce ne fut pas, dans le principe, qu’on le sache bien, une horrible jouissance : à cet égard les partisans du véri-