Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la cité, qui comblera notre imagination et notre cœur ?

Le mariage est le tombeau de l’amour, dit un proverbe ; et cela était vrai pour les Grecs, il y a vingt-quatre siècles, incomparablement plus qu’il ne l’est pour nous. Certes, la vertu, comme le vice, est contemporaine de l’humanité, et l’amour conjugal a eu de tout temps ses héros et ses héroïnes ; mais il faut raisonner sur des moyennes, non sur des types qui trop souvent ne sont que des exceptions. Or, la première barbarie, favorable à une rude continence, ayant cédé bientôt devant les premiers triomphes de la civilisation, l’inégalité des conditions s’étant développée, la religion étant de moins en moins sentie, le mariage perdit bientôt son faible prestige, et le cœur, mal défendu par la conscience, se trouva livré à tous les emportements de l’amour. La dignité d’épouse, aristocratique dans son principe et dans sa forme, ne conférait guère à la femme antique que de hautaines prétentions, qui la rendaient peu aimable ; quant à sa chasteté, on peut s’en faire une idée en relisant la scène burlesque entre Sosie et sa femme, dans l’Amphitryon de Molière.

En fait, la chasteté fut médiocrement comprise des anciens. Tous leurs épithalames, depuis le Cantique des cantiques jusqu’aux vers fescennins, en font foi. Qu’attendre dès lors, pour l’amour, d’un pareil commerce ? Fénelon l’a dit quelque part, avec ce sentiment profond qui supplée à l’expérience : Celui qui dans le mariage cherche la satisfaction des sens y sera trompé, et s’en repentira. L’épouse, telle qu’au sortir de l’âge héroïque la civilisation dut la faire, n’ayant pour elle que son orgueil, la trivialité de ses occupations et son importune lasciveté, que réprimaient à peine les ennuis de la grossesse et les rebuffades maritales, l’amour s’envolait au matin des noces, et le cœur restait désert. — « Il n’y a pas la moindre parcelle d’amour dans le gynécée », dit