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Comme les facultés intellectuelles sont plus vives dans la jeunesse que dans l’âge mûr, il est permis de croire, par analogie, qu’il en est de même dans l’espèce ; et bien des gens trouveront qu’il a fallu plus de spontanéité, plus de puissance, plus de génie, pour créer le langage, inventer l’écriture et les nombres, que pour découvrir, à l’aide de ces premiers instruments du savoir, l’imprimerie et l’algèbre.

Osiris, qui imagina la charrue, fit plus pour l’agriculture que tous nos machinistes ; Dédale, qui tordit et trempa le vilebrequin, peut revendiquer la propriété de ces formidables tarières à percer l’écorce du globe ; Arachné la tisserande l’emporte même sur Jacquard ; Parmentier, qui nous fit présent de la pomme de terre, ne saurait entrer en comparaison avec l’inconnu qui trouva ou produisit le blé ; et je donnerais toutes les découvertes de Lavoisier pour celle de Noé, qui le premier fit fermenter le raisin.

Il n’y a pas une de nos inventions modernes qui ne suggère des réflexions analogues. Notre progrès industriel ressemble au progrès culinaire. On nous apprend à manger le cheval, l’alpaca, l’igname, à fabriquer l’œnoïde ; ce qui n’empêche pas la disette d’aller son train… Mais je ne veux faire tort à personne. De deux ou plusieurs idées réunies, nous en formons une nouvelle : voilà à quoi se réduit, pour l’homme, la faculté d’invention. Ainsi firent avant nous les anciens, et, on vient de le voir, avec tout autant de bonheur. Depuis, nous avons tiré à perte de vue les conséquences des principes et singulièrement multiplié l’emploi de nos éléments : est-ce du progrès ? Oui, relativement aux bêtes, qui n’ont qu’une manière de penser, l’instinct, et sont incapables d’en sortir ; relativement à nous-mêmes, je le nie. L’idée d’un tel progrès a même quelque chose de contradictoire ;