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distinction des viandes ? Comment ce que l’état de nature aurait autorisé est-il devenu, par la définition du législateur, illicite, coupable ?

On a pris texte de cette défense, sans motif apparent, pour traiter la morale civilisée de préjugé ; on a revendiqué les droits imprescriptibles de la nature, qui laisse toute liberté à l’amour : tous les sophismes accumulés contre le mariage, la famille et la pudeur, partent de là.

Mais il suffit de l’attention la plus médiocre pour se convaincre que, s’il y a préjugé quelque part, il est du côté des partisans de l’état prétendu de nature, non du côté de la civilisation. Il en est, en effet, de l’amour comme du travail, de la propriété, de l’échange, de la société tout entière. C’est en sortant de l’état de nature que la multitude humaine passe à l’état juridique et devient la cité, ce qui prouve tout juste que l’état de nature est pour l’humanité un état contre nature ; toutes les déclamations de Jean-Jacques à cet égard sont absurdes. De même, c’est en sortant de l’état de nature et en revêtant le caractère social que la propriété se distingue du vol, que l’échange se régularise et s’affranchit de l’agiotage, que le travail s’organise par la division et le groupe : ce sont là des faits parfaitement intelligibles, fondés en raison, en utilité, en morale, et contre lesquels aucune argutie ne saurait prévaloir.

Raisonnant par analogie, je dis qu’il en doit être de même de l’amour, qu’il ne peut pas être à l’état de civilisation le même qu’à l’état de nature : je demande en conséquence ce qui le distingue dans les deux états, et la raison de cette distinction.

Car, bien loin que le mariage ait à perdre de sa considération parce qu’il est une correction de la nature, c’est cette qualité de correctif qui, d’après toutes les analogies civilisées, fait sa légitimité, par conséquent sa no-