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IV

4. L’amour, dont nous venons de parler, a sa base dans l’organisme.

Dans les espèces inférieures, il ne paraît pas, malgré toutes les démonstrations amoureuses des couples, que le ravissement génétique soit mêlé d’aucun attrait supérieur à la sexualité même. L’amour est pur chez les bêtes, si je puis ainsi m’exprimer ; je veux dire qu’il est purement physiologique, dégagé de tout sentiment moral ou intellectuel.

Chez l’homme, intelligent et libre, les choses ne se passent pas de même. Nous savons, par la théorie de la liberté, que l’homme tend à s’affranchir de tout fatalisme, notamment du fatalisme organique, auquel sa dignité répugne, et que cette tendance est proportionnelle au développement de sa raison. Cette répugnance de l’esprit pour la chair se manifeste ici d’une manière non équivoque et déjà fort sensible, d’abord dans la pudeur, c’est-à-dire dans la honte que la servitude de la chair fait éprouver à l’esprit ; puis dans la chasteté ou l’abstention volontaire, à laquelle se mêle une volupté intime, résultat de la honte évitée et de la liberté satisfaite.

Le progrès de la liberté et de la dignité humaine étant donc en sens contraire des fins de la génération, il y aurait lieu de craindre que l’homme, par l’excellence même de sa nature, ne perdît tout à fait le soin de sa génération, s’il n’était rappelé à l’amour par une puissance tout animique, la Beauté, c’est-à-dire l’Idéal, dont la possession lui promet une félicité supérieure à celle de la chasteté même.

L’idéalisme se joint ainsi au prurit des sens, de plus en plus exalté par la contemplation esthétique, pour solliciter à la génération l’homme et la femme, et faire de ce couple le plus amoureux de l’univers.