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trahisons, de lâchetés, de massacres, où l’on ne sait qui est descendu le plus bas, de la royauté ou de l’Église, de la noblesse ou du tiers-état, et vous saurez ce que nous coûte la plus belle des proses. Nous sommes en plein Louis XIV, et la grande affaire est encore de parler Vaugelas !

Le français est la forme la plus parfaite qu’ait revêtue le verbe humain.

Une articulation nette, fermé, posée, débarrassée des aspirations, des sons gutturaux, des sifflements, de tous ces jeux de larynx dont se compose le chœur de l’animalité bêlante, mugissante, grognante, soufflante, hurlante, miaulante et croassante ; une prononciation, enfin, comme les anciens la rêvaient pour les dieux, qui parlaient sans grimace, ore rotundo : voilà ce qui distingue notre langue parlée.

Quant à la grammaire, une correction sévère, la limpidité du diamant ; une phrase qui, sans exclure l’inversion, va de préférence du sujet à l’objet, du moi au non-moi, image vivante de la souveraineté de l’esprit sur la nature, par suite, de l’indépendance de l’homme vis-à-vis de l’homme. On nous a reproché, comme une infirmité de langage, cette direction habituelle du discours, propre à notre nation ; il suffit d’en rappeler la raison métaphysique et la tendance révolutionnaire pour mettre l’inculpation à néant. Toute la philosophie allemande, sur ce point, nous justifie.

Personne, j’imagine, ne contestera que nos prosateurs soient sans rivaux. Mais on n’accorde pas le même avantage à nos poëtes ; et comme il y a toujours en France, en toute chose, un parti de l’étranger qui souvent fait loi et régente l’opinion, plus d’un lecteur me saura gré peut-être de dire, avant de passer outre, pourquoi je préfère le vers français au vers latin et au vers grec.