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la description d’une royauté indigente ; c’est le portrait de ce bon Évandre, roi berger, chaussé de guêtres, qui s’éveille au chant du coq, habitant pour tout palais une cabane de branches au pied du Capitole, montagne alors sans nom et couverte de bois, mais déjà terrible aux mortels par les apparitions foudroyantes de Jupiter. Quel contraste entre cette pauvreté vertueuse et le luxe de l’ère impériale ! Que de sentiments avait dû faire naître, quelle mélancolie avait dû soulever, pour produire, pour rendre possible un semblable épisode, l’expérience de tant de combats et de tant de ruines ! Et quelle force de poésie chez l’homme qui le premier osait idéaliser ce qu’il y a de plus triste sur la terre, la pauvreté, une pauvreté royale !…

XLVIII

J’ai dit la raison de l’Énéide. Sous quelque aspect qu’on l’envisage, religieux et politique, psychologique, moral, historique et philologique, cette raison est supérieure à celle de l’Iliade : d’après nos principes, elle suppose dans la poésie une supériorité égale.

Cette supériorité, Virgile l’a-t-il obtenue ? En autres termes, le chantre d’Énée s’est-il élevé, comme poëte, au niveau du sujet qu’il avait conçu comme penseur ?

Ici, la dialectique et l’érudition ne sont plus de mise. L’idéal se sent, il ne se démontre pas. Tout ce que peut le critique est de mettre ses lecteurs en présence de l’œuvre qu’il examine, et après leur en avoir expliqué l’idée, de leur en faire sentir, par la communication de son propre enthousiasme, l’idéal. Mais il faut pour cela que le critique soit lui-même poëte, qu’à la philosophie et à la science il joigne une puissance de sensibilité, d’imagination et d’expression, qui me manque. C’est une tâche que je renvoie à M. Sainte-Beuve, dont la belle