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prédites ; puis l’élaboration anté-organique des destinées humaines, le principe de l’âme, sa génération céleste et ses métempsycoses ; la théorie des délits et des châtiments, des vertus et des récompenses ; la sanction ultramondaine de la Justice, tout le plan de la civilisation et de la Providence : voilà, et la chose en valait la peine, ce qu’Énée rapporte de sa visite aux sombres bords.

L’Église, héritière de l’Énéide, a repris ce thème, comme un article de sa foi que le poëte païen lui aurait dérobé. Le Christ, pendant les trois jours qui séparèrent sa passion de sa résurrection, serait aussi descendu aux enfers, suivant les théologiens. Et quoi faire ? Ô misère des contrefacteurs ! chercher les âmes des vieux patriarches qui languissaient dans les limbes, en attendant sa venue. N’est-il pas vrai que nous retombons dans la légende primitive, insipide, de Thésée et Pyrithoüs ? Après Virgile, l’histoire des enfers est finie, le sujet est épuisé ; l’idée ne peut plus que rétrograder. Dante et Milton avec tout leur génie ne la soutiendront pas : des amplifications, des reprises avec changements de costumes et de personnages, ne sont pas des poëmes.

Je termine par l’épisode d’Évandre.

Dans l’histoire de ce réfugié d’Arcadie qui se donne à Énée on trouve, avec la fusion des races et la subordination de la Grèce à l’Italie, indiquées dans d’autres parties du poëme, le rapprochement de trois époques : la première est celle du brigandage primitif, personnifié dans Cacus ; la seconde, celle de la civilisation naissante, représentée par Évandre ; la troisième, celle d’Auguste, indiquée par la langue même et les idées de l’Énéide. Tant de choses condensées dans un épisode de 260 vers, sans confusion, sans embarras : voilà qui dépasse déjà tout l’art de l’Iliade. Mais ce qu’Homère, dont les rois sont si glorieux, si vantards, n’eût jamais osé faire, c’est