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rêvé la Grèce, devait se retrouver modifié, développé, agrandi, dans l’Énéide. Les Romains n’eussent pas supporté, par exemple, que leur Énée fût armé par un autre Vulcain, qu’il fût sous ce rapport moins glorieusement traité qu’Achille, et que l’avait été avant Achille le fils de l’Aurore, l’oriental Memnon. Ce n’est pas là ce qui a occupé le génie de Virgile, et, tout en faisant état de l’idée première à ses devanciers, nous ne devons pas nous en occuper pour lui. Qu’il ait traduit en latin, avec plus ou moins de bonheur, je ne sais combien de vers, de figures et de situations du poëte grec, c’était pour les Romains une manière d’exercer leur droit de conquête, en même temps que d’établir leur communauté d’origine, de croyance et de destinée avec l’Hellade. Il est absurde de faire travailler un grand poëte pendant douze ans à une contrefaçon. Ce que je dis est si vrai que Virgile était le premier à se plaindre du fardeau que lui imposait cette loi de tradition : il savait, mieux que ses critiques, qu’en fait de poésie les emprunts, imitations, transports, etc., réussissent rarement ; que les choses sont toujours moins belles quand on les sort de leur milieu ; et le fait est que ce qu’il y a de moins heureux dans l’Énéide, je parle des détails poétiques, c’est précisément ce que Virgile y a transporté de l’Iliade. La transfusion de l’or d’Homère lui coûte plus que la taille de ses propres diamants. Tous ces plagiats, on n’a pas rougi de se servir de ce mot indigne, sont dans Virgile de pur machinisme, ni plus ni moins que les trilogies d’Eschyle et les trois unités de nos tragiques. Ce n’est pas par les matériaux qu’il a trouvés sous sa main, c’est par la mise en œuvre, que nous devons juger le poëte.

XLV

Je ne m’étendrai pas longuement sur le style. Virgile,