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plus aisé d’enlever à Hercule sa massue qu’un vers à Homère.

À ce compte, je ne vois pas pourquoi l’on ne mettrait pas au nombre des plagiats de Virgile de s’être servi de l’hexamètre alexandrin, combinaison de brèves et de longues, formant en tout six mesures et vingt-quatre temps.

D’après la loi du développement littéraire, il est de principe que toute œuvre de l’esprit, en vers et en prose, appartient, comme la langue, et à titre de matière première, aux écrivains subséquents, qui tous ont le droit de s’assimiler les créations de leurs devanciers, tant pour le fond que pour la forme, et d’en user ad libitum dans leurs compositions.

C’est ainsi que furent composées l’Iliade et l’Odyssée. Elles sont le produit d’une ère épique qui embrasse cinq ou six siècles, depuis l’expédition des Argonautes jusqu’à Solon. Qui pourrait dire le nombre de chantres qui y concoururent ? Qui, surtout, dans cette œuvre éminemment collective, saurait faire la part du génie individuel et du génie national, la part même du génie étranger ? La guerre de Troie : sujet, ou plutôt, puisqu’il s’agit ici d’invention, propriété nationale ; les héros de cette guerre, les légendes, les dynasties, la mythologie : propriété nationale ; les aventures, les caractères, les sentiments, situations, dits notables, traits d’héroïsme : propriété nationale. Et le peuple, qui ne voulait entendre parler d’autre chose, qui demandait sans cesse qu’on lui chantât tantôt le duel d’Hector et d’Ajax, tantôt les adieux d’Andromaque, tantôt l’entrevue d’Achille et de Priam ! Il n’y a peut-être pas un épisode de l’Iliade qui, transmis de bouche en bouche et sans cesse reporté au tribunal populaire, n’ait été vingt fois remanié par les rapsodes. La Grèce était jalouse de ses poëmes, comme des statues