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par le sujet du poëme, par le but que se propose le poëte, par la philosophie, par la nature du merveilleux, ce qu’il paraît difficile de vous refuser. Or, il s’agit de poésie, d’idéal, d’art, et l’on nie que l’humanité chantée par Virgile, que ses personnages, ses épisodes, atteignent à l’idéalité de ceux d’Homère. On soutient de plus que l’Énéide n’est belle que de la beauté de sa rivale, que Virgile doit tout, ou presque tout à Homère, qu’il l’imite, le copie sans cesse ; bref, que sans Homère Virgile n’eût pas existé.

Je croyais avoir fait tomber l’objection ; puisqu’on insiste, on me pardonnera si dans ma réplique il se rencontre quelque redite.

Commençons par les emprunts ; nous parlerons ensuite du style, et nous terminerons par ce que la poésie a de plus intime, l’art de plus original.

J’avoue, quand j’entends parler des plagiats de Virgile, que je suis tenté de me cacher le visage, tant la critique moderne me fait honte. Nos aristarques, ayant totalement perdu de vue l’objet de l’Énéide, ne comprenant rien à sa raison historique, à sa nécessité sociale, à sa portée politique et religieuse, à sa gnose, ne découvrant dans ces dix mille vers qu’un exercice de versificateur, ont jugé en conséquence. Ils ont relevé la disposition des quatre premiers livres, imitée de l’Odyssée ; la description des jeux au cinquième ; celle du bouclier d’Énée ; puis, force comparaisons, force hémistiches, imités, traduits de l’Iliade. Ils ont pris pour la substance du poëme ce que j’en appelle moi la technique ; et comme ils n’apercevaient rien au delà, ils ont prononcé doctement que Virgile n’avait fait qu’une œuvre d’imitation, qu’au chantre d’Achille seul appartenait la palme de l’invention et de l’originalité. On ne saurait croire le tort que s’est fait Virgile par ce mot qu’on lui attribue, qu’il était