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les habitants de Lystra en Lycaonie, après une harangue de saint Paul, le prirent pour Mercure, qu’y avait-il d’étonnant à ce que les Romains, en écoutant Virgile, le prissent pour un saint, un interprète des dieux, sacer interpresque deorum ? Cicéron, pour quelques vers des Bucoliques qu’il avait entendus, appela Virgile, dans son enthousiasme, le second espoir de Rome, magnæ spes altera Romæ. Qu’eût-il dit à la lecture de l’Énéide ?

En fait, ce que la raison moderne repousse à bon droit comme surnaturel, et qu’elle prend pour une fantaisie poétique dans les anciennes épopées, n’avait rien d’extraordinaire pour les Romains, même du siècle d’Auguste, tant ils y étaient habitués. Ils vivaient au milieu des miracles ; ils ne croyaient qu’aux miracles ; le vrai seul les trouvait incrédules. Si quelque chose dut les étonner dans l’Énéide, ce ne fut point la succession des prodiges, des apparitions, des oracles, dont elle est remplie : quand la moindre affaire exigeait une consultation de l’augure, ils eussent été scandalisés que le fondateur de leur race n’eût pas été conduit, pas à pas, comme Romulus et Numa Pompilius, par le conseil des dieux, et couvert de leur protection. Virgile, au surplus, comme Homère, ne fait dans son poëme que suivre les traditions : il n’y a peut-être pas une de ses fictions qui lui appartienne.

Ce qui dut paraître inouï, ce fut le fond même de ce merveilleux, ce sont les théories philosophiques, politiques, religieuses et morales, que Virgile enveloppait dans ses récits et qui constituaient sa gnose.

Tel est, par exemple, ce dogme d’une Providence souveraine, tôt après posé par l’Église en article de foi, et dont nos philosophes voudraient faire aujourd’hui un article de science ; — tel est cet autre dogme de l’immortalité des âmes, qui troublait Caton, Thraséa, Sénèque, Tacite, article de foi aussi pour l’Église, et