Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pratique de Cicéron vaut à lui seul tous les systèmes des Grecs, toutes les raffineries de leurs sophistes. Tacite surtout est hors ligne ; c’est le défenseur du droit, c’est-à-dire de la mission romaine, chantée par Virgile en vers magnifiques, contre l’infidélité des empereurs, vis-à-vis desquels il remplit le même rôle que les prophètes de Jéhovah vis-à-vis des prévaricateurs de Juda et d’Israël. Du reste, le progrès se montre dans tous les genres : les bergers de Théocrite sont des bergers ; ceux de Virgile, sans sortir de leurs bergeries, sont devenus des politiques, des théologiens, des philosophes.

À partir du second siècle, l’empire devient pour ainsi dire bilingue. Néron s’était efforcé de soutenir, dans des vers ridicules, l’honneur des muses romaines ; Gallien après lui, en même temps qu’il laisse tomber l’empire, se distingue encore par de jolis vers dans la langue de Tibulle et de Properce. Marc-Aurèle et Julien écrivent en grec. La parole officielle est double : cette dualité, accélérant la dépravation de l’idéal impérial et le déchaînement des superstitions, affaiblit l’influence de l’épopée latine et en diminue la gloire. Le triomphe de l’Église et des livres hébreux porte le dernier coup : après la défection de Constantin et la version de saint Jérôme, l’Énéide perd peu à peu sa raison d’être ; ce ne sera bientôt plus qu’une fantaisie d’amateur, un vain exercice d’école, un pastiche de l’Iliade !…

XLIII

Si la partie réelle de l’Énéide fut, après la chute de l’empire, si étrangement méconnue, ce devait être bien pis de la partie surnaturelle, de ce que la critique moderne appelle le merveilleux. Quel logogryphe pour les littérateurs du dix-septième et du dix-huitième siècle, chrétiens et philosophes, qu’un génie tel que Virgile faisant parler