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pression de plus en plus complexe et de mieux en mieux conjuguée, d’après la loi et les types fournis par la langue. C’est ainsi que le sanscrit a des mots de trente et quarante syllabes, équivalant à de longues phrases ; c’est ainsi que furent conçus le vers hexamètre, la strophe plus longue encore, le parallélisme des psaumes, la période oratoire, d’après les combinaisons primitives des modes, des temps, des genres, des nombres et des cas ; Le poème épique, la plus grande des compositions poétiques, n’est lui-même encore qu’un mot, comme l’indique son nom grec, ἐπὸς…..

Une œuvre de littérature à composer, discours, histoire, drame ou chanson, c’est donc, en dernière analyse, un mot, ἐπὸς, à créer à l’aide d’autres mots, pour une idée qui n’en avait pas. En cela consiste toute l’originalité de l’écrivain. Car, ne vous y trompez pas, son originalité plaira d’autant plus qu’elle paraîtra sortir du fonds de la langue, et exprimer la pensée de tout le monde. Elle ne serait pas reçue, si elle affectait l’indépendance, le mépris des lois de la parole et du sens commun. Rien de plus libre, en apparence, que l’art du poëte ; rien, au fond, de plus mathématique, de moins négligé, de plus exact. Une peine terrible attend l’écrivain qui s’oublie : il ne sera pas lu, ou, si quelque temps il parvient à surprendre les suffrages, la réaction ne tardera pas à se déclarer contre lui ; il ne vivra pas.

Je ne m’étendrai pas davantage sur ces considérations d’humaniste. Elles m’étaient nécessaires, d’abord pour expliquer aux personnes qui n’en font pas métier en quoi consiste l’art littéraire ; puis, pour démontrer aux littérateurs eux-mêmes, dont la plupart ne semblent pas s’en douter, que, le mouvement étant inhérent à la littérature comme à la société, si la société est en progrès la litté-