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une contemplation par l’ouïe ; c’est peut-être pour cela que les maîtres de l’art, au moins dans leurs portraits, ont l’air égaré : ces hommes ne regardent pas, ils écoutent un chant intérieur, qui les ravit et les enivre.

Si ces principes sont vrais, et je ne conçois pas comment on les pourrait nier, nous pouvons dire en quoi consiste le progrès de l’art, quelle est la cause de ce progrès, ou, ce qui revient au même, quelle est la cause qui fait tantôt monter, tantôt déchoir l’idéal, puisque c’est par l’idéal, bien plus que par l’habileté de sa main, que se recommande l’artiste.

Je prends pour sujet de ma thèse ce que je connais le moins mal en fait d’art, la littérature.

XXXVII

Il y a dans toute œuvre littéraire à considérer trois choses : le verbe, l’idée, le poëme ou discours.

Le verbe ou la langue est donné dans le vocabulaire et la grammaire, comprenant, avec le matériel des mots, les flexions, la syntaxe, les tours, locutions, alliances de mots, idiotismes ; l’accent, la mesure, la prosodie, les règles de versification, la périodicité, la marche oratoire, la puissance d’abstraction etc.

Du reste, comme toute chose sortie de la nature, la langue a ses défauts, provenant de lourdeur, obscurité, surdité, vague, monotonie, rudesse, impuissance.

La philologie explique la constitution du langage : elle démontre que, dans cette création de la spontanéité collective, rien n’est arbitraire ; que tout est gouverné par des lois ingénieuses qui ont leur source dans les profondeurs de la raison, et auxquelles l’écrivain est tenu plus que tout autre de se soumettre, à peine de nullité.

L’homme de lettres, poëte ou prosateur, n’est pas le créateur de la langue ; il en est, si l’on me permet cette