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qu’il s’assimile son épouse, qu’il la sache par cœur, qu’il la possède d’instinct, de telle sorte que, présent ou absent, elle ne pense que lui, ne reflète que son action et sa volonté. Que ne puis-je évoquer ici le témoignage de ces millions d’âmes rustiques et simples, qui, sans se demander d’où leur viennent la santé et la joie, vivent dans l’affection de la nature, et ne se doutent pas que le Catéchisme et le Code soient justement les deux ennemis qui sans cesse travaillent à la leur faire perdre !

Vous avez étudié la psychologie au séminaire, Monseigneur ; aussi vous ne connaissez rien à l’âme du peuple. Vous ne l’avez pas vue, cette âme, sortir de terre, comme la graine semée par les vents d’automne, et qui lève au printemps ; vous n’en avez pas suivi, comme moi, l’efflorescence : car vous n’avez pas vécu avec le peuple, vous n’êtes pas de lui, vous n’êtes pas lui. Permettez donc que je vous cite, en ma personne, un échantillon de cette existence que l’Église, depuis dix-huit siècles, s’efforce d’étouffer sous ses badigeonnages. C’est plus intéressant, je vous assure, que vos orgues, vos cloches, vos vitraux peints, vos ogives, et toute votre architecture.

XXXVI

Mon biographe m’adresse tel étrange reproche :

« Au collége, comme plus tard à l’atelier, il refuse de partager les jeux de ses camarades, fait bande à part, dédaigne les amis, se livre, entre les heures de travail, à des promenades solitaires, etc. »

Sans doute je méditais dès lors la destruction de la famille et de la propriété. La sottise réactionnaire ayant fait de moi, en 1848, un ogre, il a bien fallu me trouver une jeunesse d’ogre, et je ne serais point surpris qu’il se rencontrât des gens prêts à jurer qu’ils m’ont connu ogrillon.