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Ceci est à moi ! Mais ces attractions puissantes, cette communauté de vie que la nature a mise entre elle et l’homme, nous ne les sentons plus : le sirocco chrétien, en passant sur nos âmes, les a desséchées.

Antée est mort, le géant, fils de la Terre, qui, chaque fois qu’il touchait sa mère, reprenait une nouvelle force ; il a été étranglé par le Brigand, et ses fils maudissent la glèbe à laquelle ils sont attachés. Qui ressuscitera Antée ? Qui délivrera ses enfants ?

XXXIV

Et cependant il y a dans le cœur de l’homme, pour cette nature qui l’enveloppe, un amour intime, le premier de tous ; amour que je ne me charge pas d’expliquer, — qui m’expliquera l’amour ? — mais amour réel, et qui, comme tous les sentiments vrais, eut aussi sa mythologie.

Qu’est-ce, je vous prie, que ce culte adressé au Ciel, aux astres, à la Terre surtout, cette grande mère des choses, magna parens rerum, Cybèle, Tellus, Vesta, Rhée, Ops, si ce n’est un chant d’amour à la Nature ?

Que sont ces nymphes des montagnes, des forêts, des fontaines, ces fées, ces ondines, et tout ce monde fantastique, si ce n’est encore l’amour ?

Personnification des forces naturelles, direz-vous, idolâtrie ! Soit ; mais en personnifiant les forces, ou, ce qui revient au même, en prêtant une âme à chaque puissance de la nature, l’homme ne fait que manifester sa propre âme et exprimer son amour. Idolâtrie, culte des formes, c’est précisément la morale. Pourquoi cette Cybèle est-elle si bonne, si bonne qu’elle se laisse aimer des bergers ? Pourquoi ces nymphes sont-elles si belles, ces génies si charmants. Si ce n’est que l’âme humaine les crée, comme le Dieu de l’Oraison dominicale, du plus pur de ses affections ?