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commune, un certain revenu. Quant à ce sentiment profond de la nature, à cet amour du sol que donne seule la vie rustique, il s’est éteint. Une sensibilité de convention particulière aux sociétés blasées, à qui la nature ne se révèle plus que dans le roman, le salon, le théâtre, a pris sa place. Si quelques cas de nostalgie s’observent encore, c’est chez de bons bourgeois qui, sur la foi de leur feuilleton ou par ordonnance du médecin, étaient allés prendre retraite à la campagne. Après quelques semaines ils se trouvent exilés : les champs leur sont odieux ; la ville et la mort les réclament.

Cette scission entre l’homme et la terre, dont la cause première est dans le dogmatisme théologique et ses interminables antinomies, se manifeste par les pratiques les plus diverses, souvent même les plus opposées : l’agglomération et le morcellement, la mainmorte, le colonat, l’emphytéose, le fermage, le métayage, l’abandon des cultures, la dépopulation spontanée, la vaine pâture, tour à tour autorisée et défendue, la conversion du sol arable en pacage, le déboisement, l’industrialisme, l’hypothèque, la mobilisation, l’exploitation en commandite.

Tous les économistes en ont fait la remarque : le fléau qui perdit autrefois l’Italie, la démoralisation de la possession foncière, sévit sur les nations modernes avec un surcroît de malignité. L’homme n’aime plus la terre : propriétaire, il la vend, il la loue, il la divise par actions, il la prostitue, il en trafique, il en spécule ; — cultivateur, il la tourmente, il la viole, il l’épuise, il la sacrifie à son impatiente cupidité, il ne s’y unit jamais.

C’est que nous avons perdu le goût de la nature : comme la pie aime l’or qu’elle dérobe, ainsi notre génération aime les champs et les bois. On les recherche comme placement d’espèces, fantaisie bucolique et maison de santé ; ou bien pour l’orgueil de la propriété, pour dire :