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priété, a eu la prétention de poursuivre dans la pratique jusqu’à ses dernières conséquences cette distinction.

Le droit quiritaire a fait périr la république romaine : c’est lui qui menace d’engloutir la société moderne.

C’est ce domaine éminent, imité de l’omnipotence divine, qui, fondé uniquement sur la volonté, se conservant par la volonté, se transmettant par la volonté, ne pouvant se perdre que par le défaut de volonté ; c’est ce droit d’user et d’abuser, que le siècle s’efforce de retenir et avec lequel il ne peut plus vivre, qui produit de nos jours la désertion de la terre et la désolation de la société.

La métaphysique de la propriété a dévasté le sol français, découronné les montagnes, tari les sources, changé les rivières en torrents, empierré les vallées : le tout avec autorisation du gouvernement. Elle a rendu l’agriculture odieuse au paysan, plus odieuse encore la patrie.

Non que l’exploitation s’arrête : la nécessité de la subsistance mettra toujours à la merci de l’exploitant moderne plus de travailleurs que l’antique propriété n’eut d’esclaves ; et l’agriculture, s’industrialisant de jour en jour, saura bien faire rendre au sol, cultivé même par des mains serviles, tout ce qu’elle peut donner.

Je veux dire que l’homme, riche comme pauvre, propriétaire aussi bien que colon, se détache cordialement de la terre. Les existences sont, pour ainsi dire, en l’air : on ne tient plus au sol, comme autrefois, parce qu’on l’habite, parce qu’on le cultive, qu’on en respire les émanations, qu’on vit de sa substance, qu’on l’a reçu de ses pères avec le sang, et qu’on le transmettra dans sa race ; parce qu’on y a pris son corps, son tempérament, ses instincts, ses idées, son caractère, et qu’on ne pourrait pas s’en séparer sans mourir. On tient au sol comme à un outil, moins que cela, à une inscription de rentes au moyen de laquelle on perçoit chaque année, sur la masse