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des ambitieux et des mécontents. Un bon agriculteur doit savoir lire et signer ses contrats : plus de savoir ne peut que l’induire à mal. C’est la prétention au savoir qui fait les perturbateurs ; c’est de là que nous viennent tant de gens d’opposition et de révolutionnaires. Si parmi vous il se rencontrait de pareils sujets, je vous engage à me les faire connaître ; je saurai, en vingt-quatre heures, en débarrasser vos communes. »


Les maires se regardent, ne sachant que dire. Enfin, le plus hardi prend la parole ; il remercie M. le préfet de ses encouragements, dont il est fier :

« Mais, ajoute-t-il, il est un point sur lequel nous ne pouvons être d’accord avec vous, monsieur le préfet, celui de l’instruction à donner à nos enfants. Permettez-moi de vous en dire les motifs.

« Nous cultivons mieux que ne faisaient nos pères, nous savons cela ; mais nous savons aussi que c’est à l’instruction qu’ils nous ont donnée que nous en sommes redevables. Nous croyons donc que, comme nos pères ont eu raison de vouloir que leurs fils en sussent plus qu’eux, nous n’avons pas tort nous-mêmes de vouloir que nos enfants en sachent plus que nous. Le progrès de notre agriculture dépend de là.

« Vous avez remarqué, monsieur le préfet, avec quel soin nos canaux d’irrigation étaient construits, nos héritages délimités, entourés de fossés. Or, nous n’aurions pu exécuter tous ces travaux si nous ne possédions quelques notions de géométrie, car il nous serait impossible de payer des géomètres.

« Vous paraissez craindre que l’instruction acquise ne nous porte à prendre l’agriculture en dégoût et à quitter nos champs. Détrompez-vous, monsieur le préfet : c’est juste le contraire qui nous arrive. Nous savons apprécier notre position et estimer à sa juste valeur la condition des habitants des villes, et si nous aspirons à nous instruire davantage, c’est pour nous attacher toujours plus à notre profession de laboureurs.

« Quant à l’esprit d’opposition que vous redoutez, nous sommes convaincus, monsieur le préfet, qu’un grand État se gouverne comme un petit ; et notre habitude est de mettre