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Pour que nous ayons le droit de concevoir et d’affirmer un absolu collectif, il faut que de nouveaux faits, un supplément d’observations, nous y autorisent : c’est ainsi que de l’analyse des faits économiques et des agitations de l’opinion nous avons conclu d’abord à la réalité de forces collectives, puis à la distinction de la raison individuelle et de la raison sociale. L’absolu a grandi, pour nous, avec l’observation ; il ne l’a jamais devancée. De plus, il nous est apparu constamment comme résultante, jamais, qu’on me passe le mot, comme principiante.

Si donc l’absolu de Spinoza gêne le moins du monde ma raison, s’il est en dehors des faits, s’il est en contradiction avec les faits, je puis récuser ce concept, le diviser, le découper : c’est ce qu’a fait Leibnitz.

Leibnitz, dispersant en monades la substance infinie, mettant à la place de la cause infinie l’infinité des causes, a banni pour jamais de l’univers et des sciences l’Absolu causatif, la nature-naturante de Spinoza ; du même coup il a fondé le cosmos, nature-naturée, forme visible de l’absolu, disait Spinoza, sur l’action réciproque des êtres infinitésimaux qu’il venait de créer, les monades.

Mais ce grand philosophe, dont l’âme n’était pas moins religieuse que celle de Spinoza, et qui, en raison de sa foi, ne concevait pas autrement non plus le système des mondes, ne put envisager sans terreur les conséquences de son hypothèse. Ce fut pour conjurer, autant qu’il était en lui, le désastre dont elle menaçait la théologie, qu’il imagina sa grande monade, suzeraine d’un monde monadique harmoniquement préétabli, féodalement organisé, providentiellement administré, et le meilleur possible.

Nous, qui n’avons plus les mêmes scrupules, et que rien n’empêche d’appliquer au monde moral une théorie qui s’est définitivement emparée des sciences physiques, nous pouvons à notre aise en déduire les conséquences.