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moins, ce peu nous est suffisamment démontré par le sentiment intérieur. Je sens que je suis libre, dit Descartes ; rien ne peut aller contre ce témoignage de ma conscience : ce que je sens, je le suis.

Prenez garde, lui répondent à la fois Bayle, Leibnitz et Spinoza : vous avez pu légitimement raisonner de la sorte quand il s’agissait de votre existence, parce que le doute et le néant impliquent contradiction ; vous ne pouvez pas raisonner de même sur votre liberté, que vous n’avez point définie et que vous ne connaissez pas : tout ce que vous pouvez dire, est que vous vous sentez agir sans obstacle et sans contrainte, mais que vous ne sentez pas les causes qui vous déterminent.

Or, ajoute Spinoza, vous êtes toujours, à votre insu, déterminé ; je le prouve par la théorie de Dieu et de la création. Tout est nécessaire, en Dieu par la nécessité de sa nature, dans l’homme par la nécessité de la nature divine sur laquelle tout être est fondé, et dont nous ne sommes, dans notre corps et dans notre âme, qu’un double mode.

Et Spinoza n’a pas de peine à faire voir que, soit que l’on envisage l’essence divine, soit que l’on considère l’ordre de l’univers, la nature de l’âme, son union avec le corps, les influences, passions, motifs et mobiles de toute espèce qui l’assiégent et la font mouvoir, il est impossible de trouver rien qui justifie cette conception du franc arbitre, que le préjugé universel réclame. L’âme est un automate spirituel ; tel est le dernier mot de Spinoza.

XXII

Spinoza a donc raison contre Descartes, et par la raison même de Descartes ; a-t-il raison enfin ? Non, car il se contredit lui-même, et nul n’échappera à la contradiction.