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dit-on avec raison, deux principes dans le monde, l’un bon, Ormuzd, l’autre mauvais, Ahrimane ; deux séries de créatures, les unes bonnes en elles-mêmes et les autres méchantes ; deux séries de faits dans l’humanité, ceux-ci louables par essence, et pour cela toujours de précepte, ceux-là odieux, et pour cette raison toujours défendus. Dans le système de la nature, comme dans celui des évolutions de l’humanité, les créatures et les actions, au point de vue de la Justice, sont de leur nature indifférentes : c’est la loi de l’homme, c’est sa main, qui les qualifie.

Cela étant, on demande comment ce qui est de soi indifférent à la morale peut devenir, par la main de l’agent ou par la volonté du législateur, juste ou injuste, vertueux ou coupable ; comment l’indifférence qui appartient à l’acte ne s’étendrait pas à l’auteur ?

L’objection, comme on verra, repose sur un sophisme des plus grossiers. Mais tout grossier que soit ce sophisme, il n’en a pas moins fait son chemin, un immense chemin ; il règne dans la théologie, la philosophie, la jurisprudence, partout ; les hommes les plus honnêtes, les penseurs les plus circonspects, le répètent : et ce sera un vrai service à la science de le réfuter dans les règles.

XIII

Donnons d’abord à l’objection toute l’étendue qu’elle mérite.

En soi, c’est chose parfaitement innocente de manger ou de ne pas manger de l’anguille. Pourquoi Moïse a-t-il interdit ce comestible aux Juifs ? En quoi cette abstinence particulière intéresse-t-elle les bonnes mœurs ? L’adorateur de Jéhovah ne doute pas qu’il ne faille obéir à la loi ; mais sa raison, le respect de lui-même, exige qu’on lui montre que cette loi contient Justice, et c’est précisé-