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doute. On ne peut pas, direz-vous, satisfaire à tant et de si hautes ambitions. Mais la France tient à ses génies, qui sont ses gloires ; et elle entend leur faire à tous une large existence. Qu’est-ce donc que le génie ? À quoi se reconnaît l’homme de génie ? La chose mérite qu’on l’examine, aujourd’hui surtout que le génie abonde, et affecte le gouvernement de la République.

Vous êtes à plaindre, reprend la Révolution ! Vous avez trop de génie ; vous ne vivrez pas ! Il faudrait pour vous sauver que vous fussiez convaincus d’une chose : c’est que devant la raison analytique, seule autorité que reconnaisse le travail, le génie n’existe pas. Ce que vous appelez génie n’est autre que l’intuition spontanée, antérieure à la réflexion, que l’antiquité adora sous un nom mystique, Genius, démon familier, ange gardien, esprit de divination quelquefois, plus souvent esprit de folie et d’immoralité. Cela sort du phénomène : c’est une quantité incommensurable, qui ne peut pas plus figurer dans un prix de revient que la taille de vos conscrits ou la figure de vos jeunes filles.

Quant à l’intelligence proprement dite, comme elle se développe par le travail, elle se mesure et se rémunère comme le travail, à l’œuvre. Faites donc l’éducation et la science pour tous ; élevez, par la polytechnie de l’apprentissage et l’ascension aux grades, le niveau des capacités ; qu’il n’y ait plus parmi vous d’aveugles, et vous verrez alors, éclairés par l’analyse, purgés de toute fascination aristocratique, spiritualiste et prédestinatienne, vous verrez combien c’est peu de chose que le génie dans la civilisation.

Ici, je crois entendre le monde des génies crier à la profanation, à l’indignité. Eh bien ! puisqu’ils se prennent pour des êtres à part, qu’ils vivent à part ! Travailleurs, vous pouvez et vous devez vous passer de leur assistance.