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science, la religion, au point de vue de la morale, ne sert de rien ?

Observons, en passant, que la qualité du Dieu ne fait rien à la chose. Mettez à la place du Christ Jupiter ou Allah ; mettez la Nature, l’Humanité ou un soliveau : le résultat reste le même. Quel que soit le dieu et le sentiment qu’il m’inspire, dès là qu’en faisant le bien je ne suis plus poussé par la seule inspiration de ma conscience, le mérite de mon action est nul ; dans la balance de la Justice, c’est zéro.

Donc la religion, de quelque espèce qu’on la fasse, naturelle ou surnaturelle, positive ou mystique, n’ajoutant rien à la moralité de l’homme, est inutile à l’éducation. Loin de la servir, elle ne peut que la fausser, en chargeant la conscience de motifs impurs et entretenant la lâcheté, principe de toute dégradation.

V

Ainsi parle la théorie : que dit à son tour l’expérience ?

À force de recommander la piété envers les dieux comme le point capital de la morale, insensiblement on lui a subordonné la Justice ; le respect de l’humanité et de ses lois a passé après la crainte, toujours plus ou moins intéressée, des natures supérieures ; de cette crainte, par elle-même immorale, le sacerdoce a fait le principe de la vertu, initium sapientiæ timor Domini. Ce qui n’était proposé d’abord que comme motif auxiliaire d’attachement au bien et d’horreur pour le mal est devenu la raison principale et prépondérante. Alors, l’intervention de la divinité dans la vie intérieure érigée en article de foi, la conscience s’est fanée ; la piété diminuant, les mœurs se sont corrompues ; et l’homme, pour avoir voulu se donner l’appui d’une idole, a été déchu : le soi-disant péché originel n’a pas d’autre origine.