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Le Travail supposait, du patron à l’ouvrier, un rapport de subordination : le christianisme entreprendrait-il de fondre les intérêts, en égalisant les profits et le salaire ? C’eût été renverser la hiérarchie sociale, introduire l’anarchie dans l’Église : toutes choses condamnées depuis comme hérétiques et athées. Impossible.

De par sa théologie, il était interdit au christianisme d’entrer dans cette route. Mais alors de quoi servait-il ? À quoi se réduisait la rédemption ? Qu’est-ce que gagnait l’esclave à l’affranchissement ? Fallait-il tant de bruit pour une liberté dont tout le privilége était de pouvoir mourir de faim sans s’exposer à la vengeance du maître ?

Ce n’étaient pas là de médiocres difficultés ; et j’imagine que plus d’une fois les évêques, embarqués sur cet océan sans fond ni rives, aux prises avec la réalité quotidienne, sentirent refroidir leur zèle. De toutes parts la multitude affamée, demandant la richesse, le repos, les jouissances, arrivait hurlant : la payerait-on toujours de sermons et de promesses ? Le temps était venu de commencer la croisade contre les dévorateurs de la terre et de les dévorer à leur tour, suivant la parole du Christ : Heureux ceux qui ont faim, parce qu’ils seront rassasiés ! Malheur aux riches !

Un moment il y eut de l’hésitation : ce fut quand les sectes gnostiques travaillèrent l’Église. Presque toutes avaient pris le christianisme au sens du temporel : c’était fait de la nouvelle religion si cette tendance l’eût emporté. Les empereurs en eussent été quittes pour une nouvelle guerre servile, et le réformateur de Nazareth tiendrait aujourd’hui moins de place dans l’histoire que Spartacus.

La religion, enfin, fit reculer la concupiscence. La gnose elle-même, c’est-à-dire la spiritualité, fut le moyen dont se servirent les évêques pour réagir contre les ardeurs