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Le péché souille l’âme ; vivre avec lui est pire que de mourir.

Tel est le dictamen de la conscience, soit qu’elle s’exprime par le poignard de Lucrèce, qui se tue pour une souillure à laquelle elle n’a pas consenti, mais dont la tache lui reste ; soit qu’elle éclate avec plus d’énergie encore dans le sacrifice de Caton, qui, désespérant d’atteindre le tyran, se frappe lui-même plutôt que d’assister au viol de la république.

Il est de mode parmi les chrétiens de blâmer et vitupérer ces suicides héroïques. Saint Augustin a trouvé moyen de plaisanter Lucrèce ; la troupe des historiographes s’est ruée sur Caton. Passons, si l’on veut, sur le fait même du suicide, qui fait une question à part, et admettons que Lucrèce, Caton, Brutus, toutes ces grandes âmes qui, en face du déshonneur, ne marchandaient pas leur vie, si elles avaient eu l’avantage de naître dans la foi du Christ, auraient su faire mieux que de mourir. Mais n’est-il pas vrai que leur résolution, telle quelle, atteste l’horreur intime de l’âme pour le péché, et l’essentialité de notre vertu ? Potiùs mori quàm fœdari ! plutôt la mort que l’indignité ! Maxime aussi vieille que l’homme, qui témoigne de l’intuition que l’âme a d’elle-même et de sa pureté ; maxime qui, si elle est juste, crée immédiatement et sans autre secours l’éthique et la pédagogie ; si elle est fausse, les entraîne l’une et l’autre. Toute notre hygiène, et en cas de maladie toute notre médication morale, est établie sur ce fondement.

Cependant à cette loi, d’ordre psychologique, le christianisme ajoute une considération d’un autre ordre.

Le péché, dit-il, offense Dieu, qui le défend, et tôt ou tard le punit.

À première vue, il ne semble pas qu’il y ait là rien qui affecte le principe, au contraire. Pour fuir le mal et pra-