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Comment, ensuite, au lieu de cette subordination de la fatalité, nous avons eu l’oppression de la liberté elle-même ; en autres termes, comment le point de vue objectif a frappé surtout les imaginations, dominé les consciences, et fini par gouverner seul l’économie humanitaire, le spiritualisme, s’expliquant par la bouche de M. Jean Reynaud, vient de nous l’apprendre.

Les âmes supérieures, dit ce grand mythologue, sont portées naturellement à la contemplation. Elles repoussent le travail dont la monotonie offense leur délicatesse ; elles tendent à s’en décharger sur les âmes inférieures, pour lesquelles la pensée a moins d’attraits, et dont la moralité requiert une occupation corporelle soutenue.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

De tous les contemplatifs, les plus intrépides sont ceux dont l’intelligence est la plus vide, et qui pensent le moins. Les Orientaux et les sauvages passent des journées, des semaines, les jambes croisées, fumant leur pipe, sans proférer une parole. Chez eux, l’inertie de l’âme et celle du corps sont en raison réciproque : dois-je les considérer comme des âmes supérieures ?

La vérité est que l’homme, par la spontanéité de son moi, tend à se distinguer, comme Descartes, en corps et en âme, à s’abstraire, tant qu’il peut, du premier et de ses exigences ; à se concentrer dans sa pensée ; à tout créer par elle, comme le moi de Fichte ; à vivre, en un mot, de la vie de la Divinité. Plus il glisse sur cette pente, plus il lui semble que son âme grandit, qu’il ajoute à sa dignité, qu’il plane sur le monde et sur ses semblables. À cet égard, le sauvage en sait autant que le théologien et l’ascète, dont il peut se vanter de recréer sans cesse le dogme et toute la métaphysique par sa rêverie. Dans cet état, le travail, réduit à l’objectivité pure, devient pour la pensée idéaliste une énigme de la Providence, une utopie