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Pour un philosophe spiritualiste, un angélomane, que dites-vous de ce raisonnement ? Moi qui, ne voyant dans l’âme et le corps qu’une division générale des phénomènes, n’ai pas le bonheur de posséder les facultés de la transcendance, je juge l’action industrielle tout autrement.

L’homme est une force pénétrée d’intelligence, qui ne peut être heureuse que si elle s’exerce. Si petite que soit cette force, elle est capable de produire les plus vastes et les plus incalculables effets par la manière dont elle est dirigée, et par son groupement. La grandeur des résultats n’étant donc de sa part qu’une affaire de multiplication, ce n’est point par cette grandeur objective, géométrique, matérielle, en un mot ce n’est point d’après la quantité du produit que l’action humaine doit être philosophiquement appréciée, c’est par la qualité de ce produit. Prenons un exemple. Le premier laboureur, Triptolème, Osiris, Caïn, fait venir une gerbe de blé : voilà la civilisation, le règne de l’esprit sur la nature, qui commence. Quelle dépense de force a-t-il fallu pour faire croître cette gerbe, que la nature toute seule ne nous donne pas ? Moins que n’en exigent la course, la lutte, la danse, l’équitation et tous les exercices d’agrément. Sans doute si, au lieu d’une gerbe, le même individu veut en récolter dix mille, l’opération sera au-dessus de ses forces, et pour lui deviendra fatigue et peine. Mais ce n’est plus qu’un problème d’association et d’industrie, dont la solution, sans aggraver le service, peut doubler au contraire, pour tous ceux qui y prendront part, le plaisir et le profit. Vous qui osez dire, sans savoir de qui ni de quoi vous parlez : Montrez-moi un grain de sable, et je vous démontrerai Dieu, permettez que je vous rétorque l’argument : Montrez-moi un grain de blé, et je démontrerai la grandeur de l’homme.

Mais, disent-ils, l’homme qui se sent une âme peut bien condescendre à inventer le blé, la charrue, le moulin, le