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il regrette que la nature soit la nature, que l’esprit soit l’esprit, et qu’il ne dépende pas de notre volonté de les faire absurdes.

M. Jean Reynaud est bien malheureux. Il n’aspire à rien de moins qu’à l’état d’absolu ; son corps, cette guenille, le retient ! Quelle déplaisance d’être obligé, comme les plus vils des animaux, de manger et de boire, de recommencer tous les jours, et quelle mortification pour un philosophe dans les suites !…

Voilà pourtant à quelles inepties conduit la distinction sacramentelle de l’âme et du corps ; voilà l’objet des vœux et la cause des regrets de cette spiritualité niaise, dont le dernier mot est la suppression de l’univers, et, en attendant, l’horreur du travail, la damnation de l’ouvrier, et la déification de l’aristocrate.

Il faut voir M. Jean Reynaud déduire, sans cligner l’œil, les conséquences de son merveilleux principe ; ce n’est pas le verbe qui lui manque :

« Pour apercevoir la grandeur de l’homme, il vaut bien mieux jeter les yeux sur les résultats généraux que sur son activité manuelle. Celle-ci, par la monotonie et la puérilité des opérations, par la médiocrité des effets, par le déplaisir et la lassitude dont elle est presque toujours accompagnée, n’est-elle pas digne de pitié ? On ne peut s’empêcher de prendre une bien pauvre idée de la vertu créatrice de l’homme… quand on le suit à la tâche, qu’on le voit piochant, creusant, portant des fardeaux, tournant des manivelles, haletant, mal à l’aise, aspirant à l’heure où il se reposera, trempant la terre de ses sueurs pendant toute une journée pour y faire en définitive si peu de chose, qu’il suffit de s’éloigner de quelques pas pour qu’il n’y paraisse déjà plus… Il ne manœuvre pas autrement qu’une fourmi… Quelle misérable chose que son corps, si l’on y cherche un instrument de création !… » (Page 86.)


M. Jean Reynaud juge de la grandeur de l’homme par le nombre de mètres carrés qu’il peut labourer en un jour.