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des choses qui nous distinguent le mieux des animaux ? Les loups ne se dévorent pas, dit le proverbe : d’où vient que les hommes se mangent ? Jamais on ne vit un lion forcer un autre lion de chasser pour lui : comment l’homme se fait-il de l’homme une bête de somme, un esclave ? Évidemment, l’esclavage n’a pas son principe dans la nature, ainsi que le reconnurent les Pères, nonobstant l’autorité d’Aristote : où donc peut-il se trouver ?

Cherchez de bonne foi, et vous découvrirez que cette anomalie, cette prérogative monstrueuse que s’arroge l’homme sur son semblable et qui caractérise notre espèce, vient de ce que, seul entre les animaux, l’homme est capable par sa pensée de séparer son moi de son non-moi, de distinguer en lui la matière et l’esprit, le corps et l’âme ; par cette abstraction fondamentale, de se créer deux sortes de vies : une vie supérieure ou animique, et une vie inférieure ou matérielle ; d’où résulte la division de la société en deux catégories, celle des spirituels, faite pour le commandement, et celle des charnels, voués au travail et à l’obéissance.

L’homme, disent les spiritualistes, est composé de deux substances. Par son âme il appartient à Dieu, son créateur, son souverain, son juge, sa fin ; — par son corps, à la terre, séjour et instrument de ses épreuves. C’est la distinction que fait saint Paul de l’Adam terrestre, Adam terrenus, et de l’Adam céleste, Adam cœlestis ; et ailleurs, de l’homme spirituel et de l’homme charnel, animalis homo, spiritalis homo.

Tout ce qui détourne l’homme de Dieu, l’inclinant vers la terre, est pour lui infirmité, misère. De là la défaveur qui dès l’origine s’est attachée au travail, et que tous les cultes à l’envi n’ont cessé d’aggraver. C’est donc à la spéculation spiritualiste qu’il faut rapporter la condam-