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et ses précoces tendresses. Pauvres petites ! elles sont vieilles à cette heure. Je voudrais savoir comment, avec les munitions du catéchisme, elles ont résisté aux assauts de l’amour, aux séductions de la vanité et aux découragements de la misère.

Pourquoi n’en conviendrais-je pas ? j’ai toujours eu peu de goût pour les œuvres de la vie dévote : me confesser, communier, faire la visite au Saint-Sacrement, baiser le crucifîx, assister au lavement des pieds, tout cela me déplaisait ; une antipathie profonde pour les clercs, bedeaux et marguilliers, que je regardais tous comme de fieffés Tartufes. J’avais observé de bonne heure qu’il n’y avait pas de bon Dieu pour son sacristain ; et je détestais cette engeance d’église, qui m’eût fait prendre en grippe jusqu’aux plus belles saintes du paradis.

Un de mes amis, forcé comme moi de faire sa première communion, s’était présenté à la sainte table le Système de la Nature, du baron d’Holbach, sur la poitrine, en signe de protestation. Je n’étais pas de cette force, mais je bataillais avec le confesseur, et je me rappelle fort bien qu’un jour qu’il me grondait d’avoir mangé, en temps de maigre, des pommes de terre cuites avec de la graisse de cochon, — vous comprenez que nous n’avions pas autre chose, — je lui répondis : Mon père, mon pâque ne vaut pas votre vendredi saint !

Tandis que la religion se perd pour le peuple, elle devient pour les riches, comme la musique et les modes, un embellissement de l’existence, je dirais presque un objet de luxe. Quelle peut être la cause de ce revirement ? Est-ce la faute de Voltaire ? Est-ce la faute de Rousseau ? Ou n’est-ce pas plutôt celle de l’Église ? Nous en jugerons tout à l’heure.