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soupir de ma jeunesse, que j’ai ressentie à chaque élan de mon civique enthousiasme, à qui je puis offrir déjà trente années et plus de labeur, douce et heureuse Mort, pourrais-tu m’effrayer ? N’est-ce pas toi que j’adore dans l’amour et l’amitié ? toi que je médite dans la vérité éternelle ? toi que je cultive dans cette nature, dont la communion étouffe en mon cœur jusqu’au sentiment de ma pauvreté ? toi, enfin, à qui j’ai élevé un temple dans mon âme, et que je ne cesse d’invoquer, ô souveraine Justice !…

Si tu viens aujourd’hui, je suis prêt : j’aime les miens et j’en suis aimé ; j’ai bien combattu, bonum certamen certavi ; si j’ai commis des fautes, du moins je n’ai pas désespéré de la vertu, et je me suis relevé toujours. J’ai commencé mon testament, que d’autres achèveront, et j’ai la ferme confiance que quiconque l’aura lu comprendra cette forte parole, qu’il n’est pas de servitude pour celui qui a fait un pacte avec la mort. Si tu ne viens que demain, je serai encore mieux préparé ; j’aurai fait davantage, je t’embrasserai avec une effusion plus ardente d’un degré. Si tu tardes dix ans, je partirai comme pour le triomphe.

Ô mort ! si longtemps calomniée, et qui n’es terrible qu’aux méchants, seuls dignes d’être appelés immortels, ne serais-tu pas l’énigme fatidique dont le mot doit faire évanouir le sphinx des religions, en délivrant l’humanité de ses terreurs ? Tu ne m’as pas tout dit encore ; tu me gardes plus d’un secret. Enseigne-moi, et je redirai ta parole ; et toutes les nations confesseront que tu es le seul Christ, vivant et véritable.