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parle des jugements de Dieu, que l’on frotte d’huiles saintes, qu’on accable d’exorcismes, comme si, sur le seuil de la tombe, commençait le supplice du réprouvé !

Eh quoi ! voici des hommes, les premiers par le génie et la gloire, comblés de l’admiration de leurs contemporains, sûrs de la postérité, et pour qui la mort est insupportable : ils sont chrétiens.

Et ce pauvre tonnelier, étranger à toutes les grandeurs, s’éteignant de lassitude dans une chaumière, sourit à sa dernière heure ; sa conscience lui tient lieu de tout ; il est heureux. Ce n’est pas un impie, l’homme du peuple ne connaît pas l’impiété ; mais ce n’est pas un chrétien non plus que celui qui, sur le bord de la tombe, donne une larme au fils qui n’est plus, parce que la mort de ce fils qui l’a devancé le diminue ; qui regrette ses entreprises malheureuses, parce qu’elles lui laissent un vide ; qui ne craint pas l’autre vie, mais qui n’en a pas besoin, parce qu’il la possède dans son cœur !

Regarder la mort en face, la saluer d’amour, remettre son âme entre les mains de ses enfants, et s’échapper dans la famille en laissant son corps à la terre comme une rognure, cela n’est ni spiritualiste, ni mystique, ni chrétien ; c’est tout simplement de la réalité sociale, c’est de la Justice.

Aujourd’hui, que l’on n’est ni avec le Christ ni avec la Révolution, on a inventé, pour les mourants, des façons hideuses. Autour du malade, tout conspire pour lui cacher son état : on l’amuse, on le trompe, on le chloroformise ; on fait si bien qu’il trépasse sans y avoir pensé. Point de dernières paroles, novissima verba ; point de transmission de l’âme, point de testament. Il crève comme un chien : Unus est finis hominis et jumenti.

Ô mort ! sœur aînée des amours, toujours vierge et toujours féconde, toi que j’ai reconnue dans le premier