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Celui qui aime veut mourir ; c’est la pensée du Cantique : Fortis ut mors dilectio, dit l’épouse. Quand ce serait pour mourir, rien ne m’empêchera de t’aimer. C’était la pensée de cet enthousiaste qui demandait à Cléopâtre une nuit, et consentait de mourir après.

Et vous n’avez plus ici à distinguer entre les espèces d’amour : le voluptueux et l’amant chaste, le sensualiste et le platonique, sont soumis à la même loi. Et le père, l’ami, le citoyen, pensent de même. Pour les uns comme pour les autres, quand la passion est arrivée à son paroxysme, quand la conscience est montée au diapazon de l’héroïsme, mourir n’est rien, aimer seul est quelque chose. M. Blanc-Saint-Bonnet, entrevoyant cette identité de la mort et de l’amour, a rencontré une belle pensée :

« Personne, dit-il, n’est entré plus avant dans l’amour que celui qui a vu plusieurs fois la mort. »

Au contraire, sevrez le cœur d’amour et la conscience de Justice, faites le vide dans l’âme, par le mépris et l’égoïsme, et vous aurez pour dénoûment la lâcheté, l’apostasie et toutes ses hontes.

Un homme s’est vu, de nos jours, comblé par la nature, la fortune et la célébrité, mais type d’égoïsme et d’orgueil, déshonorer ses derniers instants par une défection comme en compte peu la philosophie : cet homme est Henri Heine.

Après avoir longtemps courtisé la Révolution, caressé la Démocratie, savouré la popularité, chanté l’athéisme et le plaisir, devenu cul-de-jatte, n’ayant au cœur ni foi ni amour, sans communion ni avec la nature ni avec la société, il se fait déiste, il revient, dit-il, au sentiment religieux. La logique, sa misanthropie, ses terreurs secrètes, voudraient qu’il allât jusqu’au catholicisme ; il a honte : il a trop sifflé, trop blasphémé la religion du Christ ! Mais il préconise la Bible et le Judaïsme ; il admire Moïse et