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LII

Mourir, en entendant par ce mot ce qu’indique l’observation physiologique, c’est-à-dire la seconde période de l’évolution vitale, signifie donc se reproduire ; et si l’on saisit le phénomène dans son instant caractéristique, mourir c’est accomplir la fonction essentielle de la vie, celle qui requiert le plus haut degré d’énergie et d’exaltation. Nous le sentons dans le spasme érotique, rapide comme l’éclair chez les individus vigoureux et qui savent conserver leur liberté dans la passion, mais qui chez les vieillards ressemble à un vrai trépassement, dont plus d’un ne se relève pas.

Relisez dans la Nouvelle Héloïse la description du baiser du bosquet, premier gage donné par l’amour, premier qui-vive de la mort.

Est-ce là finir ? Oui, assurément, si vous réduisez l’existence à l’individualité, moins que cela, à la fonction génératrice, dont les deux sexes forment par leur union le complet appareil ; non, si vous considérez l’existence dans la série des générations, dans leur solidarité, leur identité, ce qui veut dire, pour l’homme, dans leur vie morale et dans leurs œuvres.

Soit donc que je considère la mort du point de vue de la nature, soit que je l’envisage à celui de la Justice, elle m’apparaît comme la consommation de mon être ; et plus je consulte mon cœur, plus je m’aperçois que loin de la fuir avec effroi j’y aspire avec enthousiasme.

Passer d’un foyer à un autre, ou de père devenir enfant, pour la vie ce n’est pas finir ; et comme ce passage, ce devenir, pour tout être vivant le moment solennel, l’acte suprême de l’existence, il s’ensuit que la mort, dans le vœu de la nature, est adéquate à la félicité : la mort, c’est l’amour.