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cination mortifère, renonce au mariage, se fait moine, et expire dans l’épouvante.

La Fontaine, atteint par la contagion, porte à ses derniers moments un cilice.

Racine abdique son génie, se met à rimer des psaumes, et fait avec ses enfants des petites chapelles.

Le grand Condé, c’est Bossuet qui le raconte dans son oraison funèbre, s’encourage lui-même à quitter la vie par l’espérance de voir Dieu « comme il est, face à face », sicuti est, facie ad faciem. L’homme dont le courage avait étonné les plus courageux, atteint des terreurs chrétiennes, fléchit devant le prêtre, et tremble. Il n’y avait rien dans cette âme, qui n’avait connu ni la patrie ni la Justice, et qu’avait ensorcelée la foi.

Turenne converti se tient prêt à mourir, tous les jours faisant ses dévotions, si bien, dit madame de Sévigné, que personne, ni à la cour, ni à la ville, ni à l’armée, n’eut la moindre inquiétude de son salut.

La mort de Fénelon, racontée par le cardinal de Beausset, est lamentable. Frappé dans ses affections, dans son ambition légitime, exilé par un roi despote, condamné par le pape, trahi par madame de Maintenon, séparé de la société religieuse, de la société politique, de toute société, il traîne dans le deuil une existence désolée. Parvenu à sa dernière heure, il ne cesse de s’exhorter par des textes de la Bible. Lui, l’homme de charité par excellence ! après tant de persécutions injustes, d’espérances trompées, de déchirements atroces dans le cœur et dans l’esprit, la terreur des jugements éternels le poursuit encore. Plus il a été juste, pieux, aimant, sympathique à tous, dévoué à son pays et à son prince, plus sa religion lui verse d’amertume. Oh ! quand je n’aurais contre le christianisme que cette mort de Fénelon, ce serait assez pour ma haine : jamais je ne pardonnerais à ce Dieu.