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d’abstinences, s’abîment de travaux et de veilles, poursuivis qu’ils sont par la trompette du dernier jour.

Les siècles se sont écoulés, et l’humanité continue de marcher dans son propre deuil : le moyen âge tout entier est un long enterrement. L’Homère de la société féodale est Dante : il chante l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Son philosophe est l’auteur de l’Imitation : il préconise les jouissances intimes de la solitude, les voluptés du dévêtissement, l’égoïsme du cercueil. Sans doute le quinzième, le seizième siècle, ramenant la philosophie, les sciences, les lettres, les arts, l’industrie et ses découvertes, vont, aux cris puissants de la Renaissance et de la Réforme, mettre fin à ce pèlerinage d’outre-tombe, changer en une civilisation joyeuse l’Église de ténèbres et ses fêtes nocturnes. Rien : la philosophie et les muses sont encore des revenants. Drapées dans leur suaire et faisant le signe de la croix, elles raffinent sur la mort ; elles nous apprennent à la savourer, à la goûter, comme n’avaient pas su les martyrs, comme ne le soupçonnèrent jamais les Pères du désert.

Lisez nos sermonnaires, nos auteurs ascétiques et mystiques, nos livres de menue et haute dévotion : toujours l’épouvantement de l’autre vie, la dramaturgie de la mort. La Mort ! l’Éternité ! le Jugement ! le Paradis ou l’Enfer ! Y avez-vous pensé à ces quatre fins dernières ?… Il est un livre, modèle du genre, qui circule encore par les campagnes : c’est le Trésor des âmes du Purgatoire. Tout plein d’apparitions de morts et de damnés, on ne saurait imaginer le mal qu’a fait cet abominable ouvrage, de quelle pusillanimité il a rempli l’âme du peuple.

On demandait à César quelle mort lui semblait préférable : La plus prompte et la plus inopinée, répondit-il. Tous les Romains pensaient comme lui. Fais vite, c’est l’unique prière qu’adressaient aux bourreaux les condam-