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Justice seule doit y occuper. Le moment venu, elles s’évanouiront d’elles-mêmes, et votre prudence n’aura pas à craindre de ce côté de questions indiscrètes. Pierre Leroux s’écrie quelque part : Que répondrez-vous à votre jeune fille quand elle vous demandera : Qu’est-ce que Dieu ? — Eh ! digne philosophe, je lui demanderai à mon tour : Qu’est-ce que Croquemitaine ?

Que faut-il, en effet, pour changer les conceptions idolâtriques de l’enfance en philosophie sociale ? Montrez au jeune homme, par le rapport des lois et l’analogie des formes, la chaîne des êtres ; pénétrez son intelligence de cette vérité sublime, que les lois de la nature sont les mêmes que celles de l’esprit et de la Justice, et que, si cet idéal suprême que la religion appelle Dieu a sa réalité quelque part, c’est dans le cœur de l’honnête homme. C’est ainsi que vous ferez passer votre élève de la sphère de la sensation dans celle de la morale.

Et qu’est-ce que la morale, après tout, chez les êtres à qui le frottement de leurs semblables n’a pas encore donné la notion exacte des rapports et développé le sens juridique, sinon cet amour universel, très-peu classique, je l’avoue, et encore moins romantique, peu raffiné, peu sentimental, mais réel, souverain, fécond ; où se forme le génie, où se trempe le caractère, où se constitue la personnalité, où s’éteignent la superstition et le mysticisme ; amour divin, qui ne se réduit pas à toucher du bout des lèvres cette mère nature, comme la religieuse qui reçoit l’hostie, ou comme Pyrame donnant un baiser à Thisbé à travers la grille du jardin.

XXXVIII

Sorti des études, j’avais atteint ma vingtième année. Mon père avait perdu son champ ; l’hypothèque l’avait dévoré. Qui sait s’il n’a pas tenu à l’existence d’une bonne