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d’employer la force. La raison nous servira mieux ; et la patience, comme la Révolution, est invincible. Puis je n’ai pas reçu de mes ancêtres rien que des leçons de meurtre ; écoutez encore celle-ci :

Tournési, raisonneur et médiocrement dévot, était mal avec le desservant de la paroisse, le curé Blessemaille. Une année, s’apercevant qu’il était l’objet des cancans, il crut devoir faire ses pâques. À qui pensez-vous qu’il s’adressa pour l’absolution ? Au curé Blessemaille lui-même, à ce prêtre vindicatif, qui fut saisi d’horreur en voyant son ennemi, l’épilogueur de sa conduite, entrer au confessionnal. Dans une sainte colère, il voulait le renvoyer. « Adressez-vous à un autre, lui dit-il. — Je ne connais que mon pasteur, » répliqua humblement Tournési. Et force fut à Blessemaille de l’absoudre, qui plus est, de le communier de sa propre main. N’est-ce pas, Monseigneur, que voilà un joli tour de soldat paysan ? Ah ! curé, tu dis que je suis un orgueilleux, un plaideur, un envieux, un mécréant. Eh bien ! je te ferai lever la main et jurer sur l’hostie comme quoi tu m’as trouvé sans reproche. Communion indigne ! allez-vous dire, profanation des choses saintes, attentat à la religion et aux mœurs ! Doucement, s’il vous plaît : le scandale, s’il y en avait, n’était que pour le prêtre ; quant aux assistants, l’édification était complète, car ils riaient tous. Au demeurant, un homme qui réunit, comme Tournési, toutes les vertus domestiques et sociales, qui n’a d’autre défaut que de taper sur le garde et de se moquer du chapelain, est essentiellement moral ; il ne lui manque que la grâce.

Tournési mourut dans l’hiver de 89, d’une chute qu’il fit sur cet affreux verglas d’impérissable mémoire. Il allait de maison en maison, chantant des complaintes révolutionnaires, dans lesquelles, suivant le style du temps, les institutions féodales étaient représentées comme une