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XXXII

Comment la nation française, qui, après avoir fait la révolution de 1789 pour la conquête de ses libertés, en a fait encore deux autres, celles de 1830 et de 1848, pour les défendre, ne jouit-elle aujourd’hui d’aucune ? D’où vient cette absorption de toute vie locale, de toute pensée libre, dans la vie et la pensée officielle ?

Je disais à un maire de province :

Depuis soixante ans votre cité est devenue méconnaissable. Qu’a-t-elle fait de son caractère, de sa volonté, de son action, de tout ce qui faisait d’elle un être moral, intelligent et libre, si j’ose ainsi dire, une personne ? Où sont ses mœurs enfin ? Tout est mort en elle, usé par le machinisme gouvernemental et l’absorption centralisatrice. Ne parlons pas de liberté individuelle, ce serait hors de saison. Vous même, chef de la police urbaine, ne pouvez rien sous ce rapport pour vos administrés. Parlons de votre liberté, de votre autonomie municipale. Vous êtes primé, subalternisé dans toutes vos facultés : 1o par le préfet ; 2o par le procureur général ; 3o par le commissaire central ; 4o par le recteur de l’académie ; 5o par le général de division ; 6o par l’archevêque ; 7o par la banque ; 8o par le receveur général ; 9o par le chemin de fer ; tout à l’heure, 10o par le dock… Votre ville, pour le pouvoir et les corps privilégiés qui tiennent de lui leur existence précaire, est une caserne, un bureau, une agence, une succursale, une école, un parquet, une station, un magasin ; mais rien de tout cela n’est vous, vous êtes zéro. Faites acte de volonté, et le général vous assiége, l’archevêque vous excommunie, le préfet et le commissaire vous dénoncent, le procureur-général vous ajourne, la Banque vous retire son crédit, le chemin de fer ses wagons. Vous n’êtes que des pierres, de vieux pignons, une ruine…