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passe-droits, où la notion du juste et de l’injuste s’évanouit sous le miracle.

L’Évangile a suivi fidèlement cette théologie, comme on le voit dans les paraboles de l’enfant prodigue, des ouvriers tard-venus, des talents prêtés à usure, des cochons jetés à la mer, etc. Le pouvoir de lier et de délier donné à l’Église n’a pas d’autre sens que cette suspension ad libitum des lois de la Justice et de la morale, par des considérations de Providence.

Et tout cela est irréprochable de logique : Dieu, étant l’auteur du statut moral imposé à l’humanité, ne peut pas lui-même, dans son administration cosmique, y être astreint. S’il lui plaît de faire naître son Christ d’un Jacob escroc, d’un Juda incestueux, d’un David adultère et assassin, de vingt rois idolâtres et parjures, nous ne pouvons que nous incliner et adorer ses desseins. La dérogation à la Justice par l’auteur même de toute Justice est la plus grande preuve de la révélation : elle nous prouve qu’il existe véritablement un Dieu, prévoyant et libre, édictant dans la plénitude de sa liberté les lois du monde et de l’humanité, et jusqu’aux vérités mathématiques, comme le dit Descartes. Ôtez en Dieu cette faculté de se soustraire aux lois qu’il a faites, d’y déroger, d’en suspendre l’action, et Dieu redevient, comme les fantômes du paganisme, sujet de la nécessité, du fatum ; pour mieux dire, il n’y a plus de Dieu.

XXIX

Tel est donc le gouvernement providentiel ; tel sera, nous l’avons montré, le gouvernement typique ou sacerdotal ; tel devra être à son tour le gouvernement laïque, qui n’en est qu’une dérivation.

C’est d’après ces principes que Bossuet composa pour le fils de Louis XIV, dont l’éducation lui avait été confiée,