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Une seule fois il a écrit à son ancienne maîtresse : On a abusé de votre inexpérience. Je ne vous en veux pas… Vous m’avez perdu à jamais. Que Dieu vous pardonne comme je vous pardonne. Soyez heureuse !

« De bonne heure, le cœur et la conscience du jeune séminariste sont façonnés à ce rôle. Des supérieurs vénérés lui parlent au nom du ciel, au nom de la gloire de Dieu et du salut des âmes ; ils lui commandent de dénoncer, et il dénoncera sous peine de la malédiction d’en haut et des châtiments d’en bas. Nouveau croisé, il obéira à l’appel suprême : Dieu le veut ! Avec le temps, il est vrai, la pensée, comme Samson, rompt d’indignes liens. Revenu à la probité, à l’honneur, le prêtre d’un âge mûr refusera de prostituer son ministère à la délation. Mais qu’il se garde de laisser rien paraître de l’indépendance de ses sentiments : il se verrait bientôt accusé par les pharisiens du sacerdoce de connivence avec les corrompus. »

XXVII

Qu’il y a loin de cette discipline d’esclave à la théorie révolutionnaire qui pose en principe que tout homme, en raison de son sens moral, a droit de haute et basse Justice sur son semblable ; qui, en vertu de ce droit, et afin d’éviter les vengeances, organise la Justice, en faisant intervenir, à la place de l’individu, la cité comme jury dans toutes les affaires civiles, politiques et criminelles ; qui repousse les dénonciations anonymes, et exige la comparution des témoins ; qui enfin, pour dernière garantie, bien loin d’admettre la plus légère ombre d’autorité dans le juge, soumet les jugements, par la publicité des audiences, au contrôle, à la sanction de l’opinion !

Mais à chaque recrudescence du régime jadis fondé par l’Église, nous voyons ces mœurs juridiques, si nobles, si pures, de la Révolution, entamées par l’arbitraire ; les notes administratives prendre la place des témoignages ; le huis-clos s’introduire, le jury disparaître des affaires