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de trouver une balance. Pas n’était besoin de tant saigner la charité et d’appeler à Dieu ; il suffisait de faire Justice en invoquant le droit de l’homme : Porrò unum erat necessarium.

C’est ne rien dire que de prétendre, avec Bastiat et les autres, que les choses dans la société tendent d’elles-mêmes à se mettre en équilibre, qu’il n’y a qu’à laisser agir la bascule économique, offre et demande, et que la liberté, débarrassée de toute entrave, nous conduira à la solution. La théorie de Malthus prouve combien peu les économistes du laissez-faire se gênent à l’occasion pour renier leurs maximes.

Sans doute la solution moyenne engagée dans les variations infinies du commerce anarchique finit par apparaître à l’observateur : mais la question est de savoir si, cette moyenne reconnue, il nous appartient d’en faire une règle, ou si nous devons rester à perpétuité dans l’indéfini et la variation. Il est certain, par exemple, que les produits s’échangent contre les produits, et qu’en vertu de ce principe le salaire du travailleur tend à se mettre de niveau avec son service : est-ce une raison pour retenir éternellement, par l’agiotage, le travailleur dans le salariat ? Il est certain que la Justice tend à occuper dans le cœur de l’homme une place plus grande que l’amour : est-ce une raison pour retenir les populations dans l’animalité, quitte à leur conseiller ensuite, quand elles deviennent trop nombreuses, le remède de Malthus ?

Je dis donc que nous sommes tenus, de par notre droit et notre devoir, de procurer, autant qu’il est en nous, l’ordre que nous révèlent les agitations de notre existence : coupables envers la Justice, envers nos frères et envers nous-mêmes, quand l’harmonie se rompt par notre faute ; dignes seulement et honorables alors qu’elle est le fruit de notre loyauté et diligence.